Championnats du Monde Aiguebelette
Par où commencer ? Par raconter combien la saison a été longue et compliquée ? Par dire que malgré tout, nous avons énormément progressé et appris tout au long du chemin ? Par expliquer comment au travers de ces difficultés notre quatre de couple s’est rapproché, soudé et que grâce à cela nous avons franchi un gros cap ? Par mentionner le retour de notre entraineur Edouard Blanc qui nous a tant apporté et avec qui nous fonctionnons maintenant comme une réelle équipe non seulement sportive mais également de vie ? Ou simplement par annoncer que grâce à ces Championnats du Monde de folie et à notre 5ème place, nous décrochons le si précieux sésame qualificatif pour les Jeux Olympiques de Rio en 2016 !
Des Championnats qui ont démarré de manière exceptionnelle pour nous. Nous remportons notre série en devançant les anglais vice-champions du monde en titre et les néo-zélandais qui nous accrochent jusqu’au bout avec un des meilleurs temps de la journée. C’est plus qu’espéré. On s’attendait à être dans le coup mais on ne savait pas exactement où. Nous voilà propulsés directement en demi-finale avec un gros boost de confiance.
Trois jours plus tard, demi-finale, course de tous les enjeux : si nous terminons dans les 3 premiers, nous nous qualifions pour la finale et décrochons automatiquement une des 8 places qualificatives aux JO, sinon, tout reste à faire en finale B où nous devrons finir dans le top 2 pour aller à Rio. Nos adversaires : les australiens en grande forme cette saison, les lituaniens très dangereux en fin de course, les ukrainiens champions du monde et recordmen du monde en titre ainsi que les italiens et les américains que nous ne connaissons pas vraiment mais qui sont souvent imprévisibles. D’habitude plutôt détendu avant les courses, je suis cette fois submergé par la pression et l’enjeu et j’ai un peu de mal à gérer. Pourtant je sais que nous en sommes capables même si il va falloir sortir la course parfaite pour gagner. Même quand le stress est présent, il se dissipe normalement une fois le départ lancé. Pas cette fois. Malgré un bon départ et un superbe 2ème 500m qui nous place en tête à la mi-course, je ne suis pas serein et je sais que tout peut encore arriver. Cela se confirme à 500m de l’arrivée ; nous formons une ligne virtuelle avec les australiens et les ukrainiens tandis que les lituaniens reviennent très fort. Je suis stressé, cela fait mal, la cadence est déjà très haute mais il faut repartir. A 200m de l’arrivée les lituaniens sont revenus, nous sommes à présent 4 bateaux sur la même ligne. Seuls 3 passent en finale. Je tourne la tête sur la droite où se trouvent les lituaniens et les ukrainiens je les vois partir. J’ai réellement peur, je redresse la tête, ne pense même plus à la douleur, ni à la technique. Ma seule pensée : pousser le plus fort possible et ramer le plus vite possible. Encore 10 coups. Nous sommes qualifiés. 4 bateaux en moins d’une seconde. Nous sortons les champions du monde en titre. Quelle intensité, que d’émotions, quelle joie et surtout quel soulagement !
La pression retombe complètement après la demi-finale mais nous réalisons assez vite qu’il y a réellement quelque chose à aller chercher en finale. En effet, les 6 bateaux qualifiés se tiennent dans un mouchoir et notre série est celle qui est allée le plus vite. Le jour de la finale je suis dans un drôle d’état ; le stress revient un petit peu mais surtout je suis vraiment excité. Je n’ai jamais eu autant envie d’aller faire la course et je n’ai jamais été aussi prêt à aller chercher mes limites. Deux heures avant de monter sur l’eau je reçois un coup de fil d’un ami qui me souhaite bonne chance et me dit qu’il espère me retrouver aux samaritains après ma course. Je lui dis que c’est prévu… Le moment est enfin venu. Nous sommes en ligne d’eau 1, un peu isolés. Un départ correct nous place dans le trio de tête. 2ème à 1000m cela reste extrêmement serré entre les 4 premiers. Nous passons les estoniens et remontons sur les allemands mais les australiens partent avec nous. À l’entrée du dernier 500m nous sommes 3èmes, les allemands une demi-longueur devant, les australiens une pointe devant, les estoniens une pointe derrière. Puis tout se passe très vite : je rentre dans le rouge, on essaie de monter la cadence, ma vision se referme, on tente le tout pour le tout mais ça ne part pas comme on veut, je ne comprends plus très bien ce qui se passe puis nous passons la ligne d’arrivée. Je sais que nous avons loupé le podium mais je n’ai aucune idée de combien ni de l’ordre du classement. Je suis couché sur le bateau, et ma vision est brouillée. Je comprends qu’on est en fait 5ème, les anglais nous ont également passé grâce à un gros finish. Nous devons nous arrêter au ponton des médailles pour donner une interview. Je ne me sens pas bien, je m’allonge sur le sol et me retrouve assez vite entouré par des secouristes. Je ne comprends pas vraiment pourquoi mais comme je n’arrive pas à me lever et que j’ai très froid je les laisse faire. Quelques minutes plus tard je parviens à me relever et je rejoins mon bateau pour rentrer et aller me doucher. Il me faut bien 15 minutes sous la douche pour me réchauffer puis encore quelques heures pour reprendre mes esprits mais je suis toujours comme dans un autre monde…
Voilà ce qui conclut nos Championnats du Monde et notre saison très longue et compliquée. A chaud, nous sommes un petit peu frustré d’échouer si près du podium. Mais avec le recul il en ressort avant tout une qualification olympique mais aussi, ce qui est peut-être encore plus important, c’est la première fois que nous faisons des mondiaux en étant aussi compétitifs, en maitrisant nos courses, en étant aussi proche (parfois même devant) des plus grosses nations et en ayant un réel mot à dire en finale ! Nous pouvons dire que nous appartenons bel et bien aux meilleures embarcations du monde et qu’il faudra compter avec nous l’année prochaine à Rio. Je me réjouis déjà de la saison à venir !